lundi 7 septembre 2020

Ecrire c'était mourir

 

Longtemps, j'ai cru qu'écrire c'était mourir, mourir lentement. Déplier à tâtons un linceul de sable ou de soie sur ce que l'on a connu piaffant palpitant. L'éclat de rire-gelé. Le début de sanglot-pétrifié.

Oui, longtemps, parce que, écrivant, je me remémorais, j'ai voulu m'appuyer contre la digue de la mémoire, ou contre son envers de pénombre, pénétrée peu à peu de son froid.

Et la vie s'émiette; et la trace vive se dilue.

Silence de l'écriture, vent du désert qui tourne sa meule inexorable, alors que ma main court, que la langue du père (langue d'ailleurs muée en langue paternelle), dénoue peu à peu, sûrement les langes de l'amour mort ; et le murmure affaibli des aïeules loin derrière, la plainte hululante des ombres voilées flottant à l'horizon, tant de voix s'éclaboussent dans un lent vertige de deuil-alors que ma main court…

Assia Djebar, "Vaste est la prison".

 



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